Par Valentine Salutt

Urbanisme tactique : une nouvelle manière pour créer des lieux de communauté

Face à un monde qui change, de nouvelles formes d’urbanisme émergent et proposent des alternatives aux modes traditionnels d’aménagement des villes. Ils permettent aux citoyens de bénéficier rapidement d’aménagements dans la ville, en réponse à des besoins souvent urgents et prioritaires pour les habitants.

La planification urbaine historique pose le cadre du développement urbain à moyen et long terme. Les projets urbains, consommateurs de beaucoup de ressources, mettent par définition du temps à être réalisé.

Les habitants sont donc parfois confrontés à des transformations urbaines lentes et qui peinent à trouver l’agilité nécessaires pour répondre à des besoins naissants ou prioritaires.

Les grands schémas et les grands projets urbains prennent souvent beaucoup de temps à se concrétiser au niveau local et ne répondent pas toujours aux besoins des habitants qui habitent les quartiers. 

Ces dernières décennies, un nouveau paradigme a donc émergé, qui met l'accent sur la valeur de l'implication des habitants et des usagers dans la conception de la ville - les processus participatifs prennent de plus en plus d'ampleur.  Ils visent à rendre les villes plus vivables pour leurs habitants au quotidien, mais ils se confrontent souvent à la difficulté de concilier les besoins immédiats des habitants et les projets à long terme des professionnels.

L'urbanisme tactique offre donc ici un champ de conciliation avec des projets rapidement réalisables à moindre coût. Avec des idées créatives qui sont facilement mises en œuvre et qui ne nécessitent pas des compétences bureaucratiques compliquées, ces projets s'intègrent facilement dans le tissu urbain existant tout en s'adaptant aux changements con

Mais qu’est-ce que l’urbanisme tactique, du coup ?

L’urbanisme tactique associe trois idées principales : l’échelle locale voir ultra locale, le faible coût et le court terme, tout en mobilisant les citoyens dans la conception de l’espace public. Il est une pratique qui permet aux citoyens d'agir directement sur leur environnement urbain quotidien pour le rendre plus vivable, sans attendre que les autorités ou les acteurs chargés de la planification répondent à leurs souhaits.

Ce mouvement a vu le jour à Atlanta dans les années 1970, après qu'une crise économique a entraîné un dysfonctionnement des services publics qui a amené les habitants à se responsabiliser et à commencer à transformer leurs espaces publics en collaboration avec des professionnels. Mais c’est au début des années 2000 que la pratique commence à réellement se répandre, encouragée notamment par la crise de 2008 qui voit les finances publiques locales se réduire drastiquement.


L'un des premiers exemples célèbres d'urbanisme tactique se trouve à San Francisco en 2005, 

avec l’occupation temporaire d’une place de parking en l’installation d’un mini parc public temporaire - avec juste un banc et un arbre en pot. Les organisateurs voulaient dénoncer la place prédominante de la voiture dans la ville et surtout montrer les possibilités d'appropriation de l'espace public par les habitants par des actions très simples.

© Rebar Group

L'essence de l'urbanisme tactique consiste alors à la mobilisation des citoyens. Toutefois, bien que le terme d'urbanisme tactique apparaisse en France, par exemple pour mettre en avant des aménagements temporaires ou des expérimentations, l'implication des citoyens y reste moins présente.

… et l’urbanisme transitoire ?

En France, on va beaucoup trouver le concept de l’urbanisme transitoire, qui, bien que souvent utilisé comme synonyme, est un concept distinct. Il s'agit d'un autre type de pratique d'occupation temporaire d'espaces vacants dans l'attente d'un projet souvent pour préfigurer les prochains usages que l’on pourra retrouver à terme sur le lieu.

L'urbanisme transitoire met l'accent sur les liens - la transition - entre le projet territorial à long terme et la diversité de ses usages pendant la période de concrétisation du projet.  

Souvent trouvées sous la forme de ce que l'on appelle des "Tiers-Lieux" - l'un des symboles les plus marquants de l'urbanisme alternatif -, de nouveaux lieux de lien social, de culture et de créativité voient ainsi le jour pour devenir aujourd'hui des moteurs importants de la transition socio-environnementale des territoires.

L'urbanisme transitoire va enfin intégrer des actions d’urbanisme tactique, dans la forme d’une pratique collective et sociale d'initiative citoyenne locale, permettant en parallèle aux propriétaires de terrains vacants de valoriser leur patrimoine foncier et de promouvoir leurs objectifs sociaux.  L’urbanisme transitoire permet alors de tester et améliorer des usages dans un processus de transformation urbaine sur le temps long : il s’inscrit dans la dynamique de transformation du territoire vers une direction et des projets souvent déjà prédéfinis. 

Coco Velten, tiers lieu à Marseille (aujourd'hui fermé après 6 ans) © Yes We Camp  

Qu’il soit une production à 100% citoyenne ou une co-production entre collectivité, associations et citoyens, les nouvelles méthodes de fabriquer la ville permettent donc de réinventer des lieux oubliés, de stimuler des usages inédits ou encore de proposer des aménagements d’urgence, parfois en réponse à un manque de possibilité d’actions de la ville (budget, lourdeur administrative, règlementation…).

Pourtant, ces nouvelles formes d'urbanisme alternatif sont loin d'avoir que des aspects positifs : en arrière-plan, elles jouent souvent dans une dynamique de promotion immobilière pour légitimer la possibilité de profiter de la valorisation d'un quartier ou de friches, tout en mettant en place de grands projets urbains souvent défavorables aux intérêts des populations locales - le fameux risque de la gentrification.  Il est donc important de distinguer qui initie et met en œuvre les projets afin de savoir s'il s'agit d'une véritable action d'émancipation et d'initiative citoyenne.

Ces nouveaux modèles d'urbanisme, un engouement européen

El Campo de Cebada (« le champ d’orge ») à Madrid est un projet de réappropriation d’un ancien marché et en répons au manque d’équipements publics dans le quartier de La Latina. C’est un espace qui est transformé, géré et de manière participative et collaborative par des habitants, des associations, des architectes, des agents culturels et de l’administration de la municipalité.

©Marta Nimeva Nimeviene

Le Precollinear Park à Turin

Une ancienne voie de tramway dans le quartier Precollina de Turin transformée en un parc urbain avec une longueur de 800 mètres : un exemple de citoyenneté active, initié par l’association Torino Stratosferica. De nombreux volontaires, sous forme de plusieurs chantiers participatifs, ont transformé un espace inutilisé et dégradé en un lieu de communauté et rencontre ouverte à toutes et à tous.

©Torino Stratosferica